MATHIEU
CHALLIÈRES
Designer autodidacte, Mathieu Challieres a d’abord exercé ses talents créatifs dans la publicité. Spécialisé dans l’écriture de film, primé à Cannes, il fait l’essentiel de sa carrière chez Publicis. A l’aube des années 2000, il quitte la pub par désir d’indépendance et se lance dans la création d’objets. Un hobby qui l’a toujours occupé à ses moments perdus. Sa formation d’historien de l’art (il est diplômé de l’Ecole du Louvre) lui a permis d’acquérir tout un vocabulaire de formes qu’il met à profit spontanément pour ses créations.
Les mécanismes du développement commercial lui étant totalement étrangers, il fait le choix de ne pas investir un centime dans sa société, considérant que ce serait inévitablement de l’argent perdu. Il lui faut donc un mode d’expression ne nécessitant quasiment aucune mise de fond. Ce sera la bande plâtrée, technique pour laquelle il a développé lui-même un savoir-faire très inhabituel.
Ses premiers luminaires en plâtre trouvent très vite preneurs auprès de décorateurs ou d’enseignes prestigieuses comme le Bon Marché à Paris. En 2006, il crée les Volières, objet lumineux non identifié, qui ne ressemble à rien de ce qui a pu les précéder. Devenues iconiques, elles sont aujourd’hui diffusées dans une trentaine de pays et fabriquées de façon artisanale dans son atelier de Belleville à Paris.
Mathieu Challières quitte l’univers des grandes entreprises et monte sa propre structure un jour d’automne 1997. Il envisage alors de faire pour les autres ce qu’il a toujours fait pour lui: dessiner, fabriquer ou faire fabriquer, meubles et objets déco. Ses luminaires d’inspiration baroque ou contemporaine allient poésie, humour et pragmatisme. Mathieu Challières est un designer exigeant qui cherche la lumière, mais cultive la discrétion.
Ses lampes, à la fois aériennes et imposantes, questionnent les formes et les usages, revisitant l’esprit des XVIIe et XVIIIe siècles, comme le lustre ‘Dans les Airs’ tout en plâtre. Chaque luminaire dessiné et créé par Mathieu Challières est empreint d’une incroyable douceur et dégage une véritable élégance, s’intégrant parfaitement à votre intérieur.
L'ATELIER
Je vis et travaille dans Paris intra muros.
J’ai démarré dans le Sentier, dans une demi-loge de gardienne. Produire dans la capitale est devenu assez rare, car les mètres carrés sont chers. Je pourrais m’installer ailleurs mais, pour la petite histoire, ma Fiat 500 vintage a brûlé devant la Tour Eiffel il y a 30 ans et depuis je me déplace en vélo. A l'époque, on me prenait pour un fou. Ou pour un pauvre. Voire pour un pauvre fou ;-)
Ce choix m’a amené à en faire un autre : garder mon atelier dans Paris, car je ne voulais pas faire plus de 45 mn de vélo pour y aller.
Aujourd'hui, j'ai un local à deux pas du Boulevard de Belleville. C'est là que tout est fabriqué, à l’exception de quelques pièces uniques ou éditions limitées. Il faut vraiment savoir gérer le manque de place. Les commandes doivent partir chaque jour, sinon on ne pourrait pas les stocker.
Une équipe de 5 à 6 personnes s’emploie activement à ce qu’aucun grain de sable ne vienne entraver la bonne marche du processus de fabrication et d’expédition des colis aux 4 coins de la planète.
LA CRÉATION
À la différence de la plupart des designers, je ne m’appuie pas sur des sources d’inspiration visuelles. Je prends généralement pour point de départ une question purement théorique et je tente de lui apporter la moins mauvaise réponse possible.
Le lustre Balthazar donne un bon exemple de cette méthode. Il est né du désir de synthétiser l’esprit d’un lustre du XVII ème siècle. Il est composé de volutes « brisées » (motif classique par excellence), de quelques coupelles, de 3 boules et d’un cône. Pour un néophyte, ce lustre n’évoque en rien quelque chose de jamais vu. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a néanmoins été considéré comme tel par la justice.
Dans le cadre d’un procès en contrefaçon intenté à l’encontre de 2 grandes enseignes de la distribution et d’un important fabricant allemand de luminaires, le Tribunal de Commerce de Paris a statué que le lustre Balthazar constituait « une oeuvre de l’esprit », au sens de la convention de Berne sur la propriété intellectuelle. En d’autres termes, la juge a considéré que sa singularité était opposable à tout objet conçu antérieurement. Et que par conséquent, il convenait de condamner les contrefacteurs et leurs distributeurs.
De même, la création des Volières, trop souvent appelées à tort les cages à oiseaux, est une parfaite illustration de cette démarche créative reposant sur une approche conceptuelle et non visuelle.
Dans ce cas précis, j’avais aussi la volonté de trouver quelque chose qui ne reposerait pas sur une symétrie harmonieuse, comme les lustres en plâtre que je créais jusqu’ici. Ces formes viennent spontanément sous mon crayon. Sans doute grâce à ma formation d’historien de l’art, qui m’a permis d’avoir en tête un inépuisable vocabulaire de formes. Mais ensuite, pour transposer dans des dimensions réalistes la vigueur et la justesse de proportions de l’esquisse, il faut de très longues heures d’un travail fastidieux de mise au point.
Donc, le point de départ, a été la volonté de trouver une idée de luminaire impossible à fixer par le dessin.
Le cheminement a donc été le suivant.
Comme je ne voulais pas d’un objet qui naitrait d’un croquis, j’ai pensé aux cadres de miroirs que je fais en Bretagne, par jeu créatif, avec des coquillages ramassés sur la plage. Vouloir les dessiner d’abord serait totalement illusoire. Prévoir est impossible. Les coquillages sont comme ils sont. Pas comme vous voudriez qu’ils soient. Il n’y a pas 2 coquillages totalement identiques. Il n’y a qu’en les plaçant que l’on trouve la bonne proportion, la bonne juxtaposition de teinte et de volume.
J’ai donc cherché une idée de mise en œuvre, ou de mise en scène, d’éléments préexistants.
Les coquillages ne convenant pas à cet exercice, j’ai cherché quel motif récurrent dans l’univers des arts décoratifs pouvait convenir.
L’oiseau s’est vite imposé. Des fresques crétoises aux tapisseries de Lurçat, en passant par Snyders ou Picasso, ils sont partout. Mais quel oiseau ? Oiseau en verre, en bronze, en porcelaine, découpé dans du carton, ou dans du zinc, ou alors peints, mais peints sur quoi, ou alors brodés, ou en fil de fer… ? Les réponses sont innombrables.
Par instinct, j’ai voulu les oiseaux les plus naturels possible, semblant être venus de leur plein gré nous tenir compagnie un moment, avant peut-être de s’envoler à nouveau. L’enjeu était maintenant de les accueillir, d’orchestrer leur présence dans la pièce.
Il était évident qu’une cage à oiseau serait en complète opposition avec le sentiment de liberté à transcrire. De plus, mettre une ampoule dans une cage à oiseau, c’est du niveau de la bouteille montée en lampe. Il devint également très vite évident qu’il ne s’agissait pas de faire un énième lustre ou une énième lampe avec des oiseaux posés dessus. Cela aurait réduit les oiseaux a de simples compléments d’objets alors qu’ils se devaient d’être l’essence même de l’objet.
Il fallait donc trouver quelque chose qui soit à la fois un luminaire et un espace dans lequel les oiseaux puissent se sentir chez eux. Un espace dans l’espace. Sobre et cohérent par rapport à un luminaire. Pourquoi ne pas mettre les oiseaux à l’intérieur d’un abat-jour, sur de simples perchoirs ?
Le problème, c’est que les oiseaux ne seraient pas vraiment visibles dans un abat-jour classique. Ou alors, il faudrait un abat-jour en plastique transparent, ce qui serait froid, en complet désaccord avec le naturel des oiseaux.
Donc qu’est-ce qui serait à la fois transparent et permettrait de réaliser un abat-jour ? Un grillage. Mais un grillage qui ne soit pas agressif visuellement, comme le serait du grillage à poule. Il ne fallait rien qui évoque quoi que ce soit de carcéral. Il fallait un grillage qui soit le plus sobre possible, pour un abat-jour à la forme la plus sobre possible: un abat-jour cylindrique en grillage à maille carrée. Mais une maille large, et un fil fin.
Il n’y avait plus qu’à…
J’ai assez vite trouvé les oiseaux qu’il me fallait, mais il s’est écoulé 6 ans avant que je ne trouve, par hasard, le grillage qui convenait. 6 ans durant lesquels, les Volières ne vécurent que dans mon imagination.
Aujourd’hui les Volières et leurs oiseaux émigrent régulièrement dans une trentaine de pays et font de temps en temps leur apparition dans une dizaine d’autres.
Singulier succès pour un objet plus singulier encore.
